CHAPITRE XI
Jacen était debout devant la baie du Salon de Commandement de l’Anakin Solo et regardait la surface tachetée de nuages de la planète Hapes. C’était un monde de splendeur et d’abondance, couvert d’océans scintillants et d’îles verdoyantes, mais il était trop troublé pour apprécier ce qu’il voyait. Quelqu’un avait essayé d’assassiner Tenel Ka et sa fille Allana. Alors qu’ils attendaient leur navette, il avait les mains tremblantes et l’estomac noué, tour à tour se faisant des reproches et imaginant se venger.
Jacen savait qu’il ne pouvait pas être la première ligne de défense d’Allana. Jusqu’ici, ses liens de parenté avec elle étaient restés secrets. S’il passait trop de temps au Palais de la Fontaine, la noblesse hapienne finirait par se douter que l’héritière du trône avait été engendrée par un Jedi étranger, ce qui la mettrait encore plus en danger. Tenel Ka était plus à même de protéger leur enfant de quatre ans que lui, et il ne pouvait pas abandonner sa lutte sur Coruscant et laisser la galaxie souffrir.
Pourtant, Jacen se sentait coupable et effrayé. Son instinct lui intimait d’envoyer Allana quelque part où elle pourrait grandir en sécurité – peut-être chez les Fallanassi ou les Jensaarai. Mais sa propre enfance avait prouvé les failles du système, aussi écartait-il cette idée chaque fois qu’elle s’insinuait dans son esprit.
Cela – et le fait que nul endroit n’était totalement sûr.
Jacen avait passé presque toute sa vie à essayer de ramener la paix dans une galaxie chaotique et violente, et les choses ne faisaient qu’empirer. Il y avait toujours quelque guerre inattendue prête à se déclarer dans le système voisin, quelque démagogue plein de haine prêt à faire massacrer des milliards d’individus pour assurer le « bien de tous ». Parfois, Jacen se demandait si ce qu’il faisait avait un impact, s’il n’aurait pas tout aussi bien servi la galaxie en ne revenant pas, en continuant de méditer sur la Force au sein des Aing-Tii.
Alors que Jacen se posait cette question, les océans hapiens scintillèrent de plus belle. Certains points devinrent lumières et brillèrent de mille couleurs. D’autres devinrent rouges ou or, et clignotèrent à intervalles réguliers. Les « particules » se mêlèrent, formant des flots étroits, qui encerclèrent la planète, telles les rivières de véhicules qui autrefois entouraient Coruscant.
Jacen inspira plusieurs fois profondément pour calmer son esprit. Il ne pouvait pas avoir de vision sur commande, mais il avait appris à s’ouvrir à celles qui lui étaient données. Elles étaient une manifestation de son unité avec la Force, un signe de son pouvoir grandissant, et parce que cela arrivait de plus en plus souvent, il savait qu’il réussirait à préserver la galaxie.
Sur la planète, les îles couvertes de forêts tropicales s’assombrirent et prirent un ton indigo. Deux taches blanches se formèrent au-dessus de l’une d’elles et grossirent, et Jacen se surprit à les fixer. Et plus il les observait, plus elles avaient l’air d’yeux – blancs et brûlants, qui le regardaient du fond d’un puits d’obscurité.
Quelques petits nuages passèrent au-dessus, créant l’impression d’une bouche de travers, d’un faciès spectral.
Les lèvres se retroussèrent.
— La mienne.
Les mots étaient froids et haletants, ils sentaient le Côté Obscur... et la voix lui était familière. Elle sonnait comme la sienne. Il se pencha, essayant de décider s’il voyait son propre visage.
Mais les nuages refusèrent de coopérer. Ils se déplacèrent et formèrent un front bosselé au-dessus du regard. Les joues se creusèrent et la bouche se tordit. Puis la tête s’étendit et recouvrit toute la planète de son ombre, affadissant ses couleurs et sa brillance.
Les lèvres se soulevèrent à un coin, et le sourire se fit narquois.
— La mienne.
Cette fois, la voix était trop basse et dure pour être la sienne. Il se sentit soulagé, car si c’était celle d’un autre, le visage ravagé ne pouvait pas être celui qu’il aurait dans l’avenir.
La tête continuait de grossir, jusqu’à ce qu’elle ait englouti les lunes hapiennes. Elle s’allongea et s’émacia, ses traits désormais définis par les lumières à moitié obscurcies provenant de la surface.
— La mienne.
Les paroles étaient sèches, comme un ordre, et le faciès s’arrondit. Il s’enflait toujours et bientôt Jacen ne put le voir dans son ensemble. Pour autant qu’il sache, il voilait toute la galaxie. Ses traits n’étaient plus reconnaissables, mais ses yeux restaient, devenant deux soleils blancs et aveuglants.
— La mienne !
Ils explosèrent avec la brillance de deux supernovae, et Jacen eut l’impression qu’une grenade incendiaire avait explosé à l’intérieur de son crâne. Il émit un grognement involontaire et se détourna, le visage caché derrière ses mains.
Mais sa tête n’explosa pas. La douleur s’évanouit aussi soudainement qu’elle était apparue, et quand il laissa retomber ses bras, il ne vit que le luxueux résibéton qui recouvrait le sol du Salon. Il n’y avait même pas de taches dansant devant ses yeux.
— J’espère que cette expression ne signifie pas que vous avez oublié quelque chose sur Coruscant, dit Lumiya. (Assise à la station d’information bourrée d’équipements de Jacen, elle lisait des rapports sur les nobles imprévisibles de Tenel Ka.) Nous avons l’opportunité de vous faire passer pour le sauveur de l’Alliance Galactique – mais il faut faire vite !
— Ce n’est pas ce qui compte, répondit-il.
Il refusait que Lumiya voie combien il était ébranlé – du moins jusqu’à ce qu’il puisse comprendre ce que la Force essayait de lui dire.
— Attraper les terroristes qui veulent tuer la Reine Mère – voilà ce qui compte. Faire en sorte que ça n’arrive plus jamais – voilà ce qui compte.
Lumiya fronça les sourcils.
— Que voyez-vous en bas ?
La Sith se leva et approcha. Elle portait une combinaison noire, de la même couleur que le foulard qui masquait le bas de son visage. Le déguisement de pilote allait avec la cabine qu’elle avait réclamée, près des ponts. Quand elle était en public, il lui permettait de porter un casque à visière sombre, laquelle masquait ses défigurations. À bord de n’importe quel Destroyer Stellaire, un pilote dissimulant son identité ainsi aurait alerté la sécurité, mais l’Anakin Solo appartenait à la GAG – et la plupart de ses visiteurs avaient de bonnes raisons de vouloir garder l’anonymat.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Lumiya. (Elle s’arrêta à côté de lui et regarda Hapes, qui avait repris son apparence placide.) Il n’y a rien.
— C’est parti. (Jacen ne voyait qu’une raison à la succession de visages sombres qu’il avait vus, et il lui restait assez des enseignements de son enfance pour frémir à l’idée d’une dynastie de Sith.) Ne vous inquiétez pas.
— À quel propos ? fit-elle, cherchant à le faire parler.
— Rien.
Jacen continuait d’observer les sillages qui montaient et descendaient, laissés par les vaisseaux sortant et entrant dans l’atmosphère de la planète. La Force lui soufflait-elle qu’il commettait une terrible erreur et que la galaxie allait subir une longue ère d’obscurité et de tyrannie ?
— Il ne peut y avoir de secret entre nous, Jacen. (Lumiya lui prit le bras et le tourna vers elle.) Dites-moi ce que vous avez vu. Je sens combien cela vous a inquiété.
— Je ne suis pas inquiet, insista-t-il. (Il se dirigea vers la station qu’elle venait de quitter.) Avez-vous trouvé qui est derrière l’attaque contre la Reine Mère ?
— Idiot – vous ne me ferez pas renoncer en changeant de sujet. (Lumiya l’arrêta et l’obligea de nouveau à lui faire face – sans plus de douceur.) Je sens que vous êtes troublé. Les veines de votre cou sont tendues et vibrent comme des tambours.
— J’en doute, répondit Jacen.
Comme tous les Chevaliers Jedi, il avait été entraîné à ne pas trahir ses émotions par de tels signes extérieurs – et il était plus adepte à ce jeu-là que bien d’autres.
— Je ne suis pas troublé, ajouta-t-il.
— Oh, je vois ça, ironisa-t-elle. Alors vos pupilles sont dilatées par l’excitation. (Elle tourna les yeux vers Hapes.) Y a-t-il une raison pour que cette visite vous rende heureux !
— Je le suis toujours de venir en aide à une vieille amie, répondit-il prudemment, car la dernière chose qu’il voulait, c’était qu’elle découvre ses sentiments pour Allana et Tenel Ka. Tenel Ka et moi étions à l’Académie Jedi ensemble.
— Je vois. (Lumiya avait pris un ton entendu.) Je comprends maintenant pourquoi vous êtes inquiet.
Le cœur de Jacen bondit dans sa gorge et il se demanda s’il n’en avait pas trop dit. Il avait promis à Tenel Ka qu’il ne révélerait à personne le secret de la paternité d’Allana – et en ce qui concernait Lumiya, il se sentait doublement lié par cette promesse. Les Sith voyaient l’amour comme une bénédiction devant être offerte en contrepartie d’un grand pouvoir, or il était certaines choses que Jacen ne serait jamais prêt à sacrifier.
Il croisa le regard de Lumiya.
— En fait, je ne crois pas. (Il devait lui donner à réfléchir pour qu’elle ne pense plus à Tenel Ka et lui.) J’ai vu des visages.
Il lui décrivit sa vision, les têtes dissimulées par des capuchons, toutes plus grosses les unes que les autres, recouvrant peu à peu la galaxie.
— Et cet avenir vous effraie ? demanda-t-elle.
— J’ai beaucoup de mal à imaginer qu’une dynastie Sith soit une bonne chose, rétorqua Jacen. Appelez ça un préjugé familial si vous voulez.
— L’opinion de votre famille a été forgée par Dark Sidious, dit Lumiya d’un ton patient. Et il s’intéressait davantage à son pouvoir personnel qu’à ses responsabilités envers la galaxie. Ce n’est pas une attitude Sith – et je pensais que vous le saviez.
— Je sais ce que vous prétendez, répondit Jacen, qui en dépit de son ton était soulagé d’avoir pu changer de sujet. Que les Sith sont pour la justice et l’ordre.
— La voie des Sith est la voie de la paix, corrigea-t-elle. Et pour apporter la paix, nous devons commencer par rétablir la justice et l’ordre. Et pour cela...
— ... il nous faut d’abord contrôler la galaxie, termina-t-il. Je sais.
Lumiya fit courir le bout de ses doigts à l’intérieur du bras de Jacen.
— Alors pourquoi être inquiet au sujet de ce que vous avez vu ?
— Vous le savez très bien. (Jacen se dégagea – non pas vivement, mais avec assez de fermeté pour lui faire comprendre qu’il ne se laisserait pas distraire par ses petits jeux.) Vous avez vu ce que Palpatine et mon grand-père étaient devenus.
— Et c’est pourquoi vous ne tomberez pas dans le même piège qu’eux. (Lumiya marqua une pause pour réfléchir.) Vergere le savait... ou elle ne vous aurait pas choisi.
Jacen haussa un sourcil.
— Il y avait d’autres candidats ?
— Bien sûr. Croyez-vous que nous aurions sélectionné un individu pour tenir un rôle si important sans considérer toutes nos options ? Kyp Durron était trop entêté et imprévisible. Mara avait trop d’attachements. Quant à votre sœur, elle était trop guidée par ses émotions...
— Vous avez pensé à Mara ? haleta Jacen. Et Jaina ?
— Évidemment. Votre mère était trop effrayée par l’héritage de Dark Vador, et votre oncle... (La voix de Lumiya devint dure et glaciale.) Eh bien, il n’aurait pas écouté un traître mot. Il était trop attaché au dogme Jedi.
— Et à ses vieilles rancunes.
Il connaissait la longue histoire des mauvais coups et des trahisons entre son oncle et Lumiya, et c’était l’une des raisons qui le faisait encore douter de la sagesse de sa décision de devenir un Sith. Il était conscient que tout ce que disait et faisait Lumiya pour sauver la galaxie n’était peut-être qu’un piège. Les transformer, lui et Ben, en Sith serait une vengeance qui surpasserait de loin le meurtre.
— Et Vergere ou vous-même ? Pourquoi vouloir faire de moi un Sith, alors que vous en étiez ?
— Parce que nous ne pouvions réussir ni l’une ni l’autre, répondit Lumiya. Je suis moitié machine moitié femme, et vous savez ce que ça signifie.
— Je connais la théorie. Seuls les êtres vivants peuvent puiser dans la Force, alors il est impossible pour les personnes dotées d’implants cybernétiques de profiter de toute leur puissance. Mais vos pouvoirs ne semblent pas affectés.
— Ni ceux de votre grand-père – excepté pour l’Empereur, dont les pouvoirs n’avaient pas de limites. Vous pouvez réussir. Pas moi.
— Et Vergere ? demanda Jacen. (Il avait besoin de savoir que Lumiya ne se servait pas de lui pour se venger de Luke – qu’il était réellement le seul capable d’apporter une ère de paix et d’ordre à la galaxie.) Son potentiel n’était pas limité.
— Pas à la manière dont vous l’entendez. Mais aurait-elle pu gagner la confiance d’un gouvernement ? (Lumiya secoua tristement la tête.) Elle n’aurait jamais pu effacer d’avoir été, au mieux, un agent des Yuuzhan Vong, au pis, une collaboratrice qui les avait aidés dans leurs conquêtes.
Jacen soupira.
— J’imagine que vous avez raison. (Il ignorait encore si Lumiya disait la vérité, mais il ne voyait aucune faille dans ses explications.) Il ne restait donc que moi.
— Je ne dirais pas cela comme ça. Vous étiez le meilleur candidat. En hésitant à utiliser Centerpoint contre les Yuuzhan Vong, vous avez prouvé que vous étiez assez responsable pour détenir un grand pouvoir. En vainquant Tsavong Lah en combat singulier, vous avez montré que vous n’aviez pas peur d’utiliser vos pouvoirs quand c’était nécessaire. Vergere n’avait plus qu’à vous recruter.
— À me recruter ? ironisa-t-il, songeant à son long emprisonnement parmi les Yuuzhan Vong. Vous voulez dire, à me capturer.
— Les deux, dit Lumiya. Votre oncle aurait interféré avec votre entraînement, alors nous vous avons isolé. Vergere est retournée auprès des Yuuzhan Vong et les a aidés à vous prendre. Puis elle s’est arrangée pour superviser votre détention.
— Pour me briser, corrigea Jacen.
Il commençait à réaliser que ces deux-là avaient planifié son destin. Ce qui avait semblé être des accidents ou des coïncidences faisait en fait partie de leur stratégie – stratégie qu’il ne comprenait pas encore complètement.
— Soyons honnêtes. Vergere devait détruire celui que j’étais avant de pouvoir me transformer en celui dont vous aviez besoin.
Lumiya inclina la tête.
— Une grande force demande de grands sacrifices. Je ne vous l’ai jamais caché. (Elle tourna la tête vers Hapes.) La question est : avez-vous été honnête avec moi ? Êtes-vous prêt à sacrifier tout ce que vous aimez pour le bien commun ?
L’estomac de Jacen se noua. Lumiya savait. Il commença à lui demander comment elle avait appris sa relation... puis il réalisa qu’il ne ferait que lui révéler la profondeur de ses sentiments pour Tenel Ka et Allana. Et s’il faisait cela, il augmentait les chances que la Sith lui demande de les sacrifier en contrepartie de ses pouvoirs grandissants.
Il alla se camper près d’elle.
— Je suis fatigué qu’on me demande ce que je suis prêt à offrir, dit-il. J’ai déjà prouvé...
Un tintement se fit entendre, provenant d’un petit écran dans un coin du plafond.
— Agent spécial Skywalker, dit la voix de Ben dans le haut-parleur. Les paquets sont arrivés.
— Ce ne sont pas des paquets, Ben, dit Jacen. Ce sont nos invités. Conduis-les à leurs cabines et...
— Nous préférerions nous joindre à vous dès maintenant, dit la voix de Tenel Ka, moins distincte que celle de son cousin mais néanmoins reconnaissable. Nous nous rafraîchirons plus tard.
— Très bien, Votre Majesté. (Jacen s’avisa que Lumiya l’étudiait, pensive.) Ben sera-t-il une escorte satisfaisante ?
— Oui, répondit Tenel Ka. À très bientôt donc.
L’intercom se tut dans un crachotement ; une étincelle traversa le regard de Lumiya.
— Ne vous inquiétez pas, Jacen, je sais quand ma présence pourrait être une gêne.
Elle gagna le coin du salon et appuya sur un capteur dissimulé. Un panneau d’un mètre carré coulissa, et elle pénétra dans l’étroit couloir blanc qu’il venait de révéler.
— Si vous avez besoin de moi, je serai dans ma cabine, dit-elle par-dessus son épaule.
— Parfait. (Jacen gagna la station et commença à étudier ce qu’elle avait rassemblé sur les nobles hapiens.) Je vous communiquerai les informations que me donnera la Reine Mère.
— Je suis sûre qu’elles nous seront utiles.
Aussitôt que la porte dérobée se fut refermée, Jacen fit venir son droïde de la sécurité, SD-XX, et lui demanda de scanner la cabine. Il ne soupçonnait pas vraiment Lumiya d’avoir implanté des mouchards, mais il ne prendrait aucun risque. La Sith en savait déjà beaucoup trop sur sa relation avec Tenel Ka, et il était déterminé à l’empêcher d’en apprendre davantage.
Quand Jacen termina de lire les fichiers compilés par Lumiya, SD-XX se tenait près de son siège. Avec son armure fine et ses photorécepteurs bleus implantés dans un faciès ressemblant à un crâne, il avait presque tout du modèle précédent – le puissant droïde de combat Tendrando Arms YVH.
— Aucun mouchard n’a été détecté au cours d’un balayage préliminaire, suivi d’un balayage standard, dit la voix rauque et un rien menaçante de la machine. Consentez-vous à un balayage intelligent ?
— Non, nous n’avons pas le temps pour ça, Double-X.
— Un balayage de sécurité n’est fiable qu’à quatre-vingt-treize pour cent. Si vous avez des raisons de soupçonner...
— Non aucune, coupa Jacen en se levant.
Il n’avait pas beaucoup de temps avant que Ben arrive avec Tenel Ka et Allana. Or, le SD-XX était fait pour avoir l’air dangereux et il ne voulait pas que sa fille ait des cauchemars à cause d’un droïde.
— Tu peux disposer.
SD-XX ne bougea pas.
— Êtes-vous bien certain, colonel ? Selon mon expérience, il y a toujours une raison d’être méfiant.
— Oui, parfaitement certain. (Jacen montra la porte secrète par laquelle avait disparu Lumiya.) Sors par-derrière. J’attends des visiteurs et ils ne doivent pas te voir.
SD-XX se pencha et fixa ses photorécepteurs sur lui.
— Allez, insista Jacen. C’est un ordre.
— Bien reçu, dit SD-XX avec froideur.
Il pivota et gagna le coin dans un profond silence, puis il actionna l’ouverture et sortit. Une seconde plus tard, la voix féminine du droïde d’accueil de Jacen résonna dans le haut-parleur.
— L’agent spécial Skywalker et ici avec vos invités, colonel Solo.
— Faites-les entrer.
Jacen se leva et alla se placer au centre de la pièce. La porte chuinta, et Tenel Ka entra, tenant Allana par la main. Mère et fille étaient vêtues d’une combinaison de vol en élétrotex gris, un matériau nanotissé plus connu pour son lustre opalescent et son coût exorbitant que pour son efficacité en tant qu’armure à toute épreuve.
Derrière venait Ben, dans son uniforme noir de la GAG, et une femme plus âgée, au nez aquilin – l’aide personnelle de Tenel Ka, Dame Galney. DD-11A, un droïde de défense au visage de chérubin et au torse couvert de synthépeau, fermait la marche, une arme dans chaque poing. Le droïde servait à la fois de garde du corps et de nounou à la petite fille.
Jacen voulut s’incliner devant Tenel Ka, mais aussitôt qu’Allana le vit, elle lâcha la main de sa mère et courut vers lui.
— Yedi Jacen !
Éclatant de rire, Jacen se pencha pour la prendre dans ses bras et tous ses soucis s’envolèrent. C’était une magnifique petite fille, au petit nez et aux cheveux roux, hérités de sa mère. Soudain, il comprit que sa longue lutte valait la peine d’être menée, qu’il devait continuer d’essayer d’amener la paix et l’ordre dans la galaxie. Allana et les autres enfants méritaient de grandir sur des mondes où il n’y avait ni guerre ni injustice.
Allana se pencha en arrière et l’étudia de ses grands yeux gris.
— Jacen, des méchants zont voulu nous tuer mais les gardes de maman les zont chassés et on peut plus avoir de fête.
— Nous ne pouvons plus avoir de fête, corrigea Tenel Ka, qui s’était arrêtée à trois pas de Jacen. (Malgré les cernes causés par l’inquiétude, elle était toujours aussi radieuse, avec ses pommettes hautes et ses longs cheveux roux nattés et drapés sur son épaule.) Laisse le colonel Solo te reposer. Tu es une grande fille maintenant, bien trop lourde pour être portée longtemps.
Ce n’était pas du tout vrai, bien sûr. Jacen aurait pu garder Allana ainsi pour toujours, parce qu’à l’intérieur il était terrifié par le sacrifice auquel Lumiya ne cessait de faire allusion. Il voulait garder sa fille dans ses bras pour l’éternité, la presser contre son cœur pour garantir sa sécurité, être constamment en contact avec elle à travers la Force. Mais faire ces choses lui ferait courir encore plus de danger. Même cette petite manifestation de l’affection que lui portait Allana faisait naître des expressions pensives sur les visages de Ben et de Dame Galney.
— La Reine Mère a raison, dit Jacen, tenant Allana de manière à pouvoir la regarder.
Même s’il parvenait à lui rendre visite en secret trois ou quatre fois par an, c’était la première fois qu’il notait chez sa fille cette étincelle fougueuse dans le regard qu’il avait si souvent vue dans celui de sa propre mère.
— Puis-je vous reposer sur le pont maintenant ?
Allana fronça les sourcils.
— Les Yedi sont censés être forts !
— Je suis fort, rit Jacen. Mais je dois garder mes forces pour trouver les méchants.
Les yeux de la fillette s’écarquillèrent.
— Vous allez vous battre avec eux ?
— Bien sûr. C’est mon travail de pourchasser les méchants.
Allana réfléchit à cela un instant, puis elle dit :
— Très bien, Jacen. Vous pouvez me poser... pour le moment.
— Merci.
Jacen la reposa et la regarda rejoindre sa mère. Puis il se tourna vers Ben, qui l’étudiait toujours soigneusement.
— J’aimerais que tu escortes Dame Galney à la suite d’invité. Reste avec elle pendant son inspection.
— OK, fit Ben, d’une voix qui trahit sa déception. Je veux dire, comme il vous plaira, colonel.
Il aurait préféré que Ben reste, mais le garçon était présent quand il avait appris qu’il était le père d’Allana. Jacen se demandait si les voir tous les deux ensemble pouvait réveiller des souvenirs qu’il pensait avoir lui-même effacés de la mémoire de son cousin.
Jacen se tourna ensuite vers Dame Galney.
— Ben obtiendra pour vous tout ce que vous jugerez nécessaire au confort de la Reine Mère.
— Je compte bien rester. (Galney lui adressa un sourire froid.) Comme vous pouvez sans doute le voir, les temps ont été difficiles pour la Reine Mère.
— Je n’ai rien à craindre, Dame Galney, dit Tenel Ka sans quitter Jacen du regard. J’approuve la suggestion du colonel Solo, et je voudrais que vous emmeniez DiDi et Allana avec vous. Ben – je veux dire l’agent spécial Skywalker – veillera sur la Chume’da pendant que DiDi effectuera un balayage de sécurité.
Les yeux verts de Galney lancèrent des éclairs, mais elle inclina la tête.
— Comme vous voudrez. (Elle tendit la main à Allana.) Venez, Chume’da.
Allana l’ignora et alla prendre la main de Ben pour le tirer vers la sortie.
— Vous aussi vous zêtes un Yedi, Ben ?
— Oui. (Il jeta un regard coupable par-dessus son épaule.) Enfin, en quelque sorte. Je suis apprenti.
— Avant, maman était une Yedi, confia la fillette. Elle a toujours son sabre laser et elle s’entraîne avec une...
La fin du discours d’Allana devint inaudible. Quand la porte se fut refermée sur DiDi et Galney, un silence mal à l’aise tomba sur Jacen et Tenel Ka, qui se regardèrent mais restèrent sans bouger.
Enfin, quand Jacen fut certain que personne ne viendrait les déranger, il dit :
— Il n’y a aucun risque, nous pouvons parler – j’ai fait le nécessaire.
Tenel Ka ne sourit pas, mais une expression soulagée passa sur son visage. Elle fut dans les bras de Jacen presque avant qu’il n’ait eu le temps de les écarter pour l’y recevoir.
— C’est bon de t’avoir ici, Jacen. Merci d’être venu.
— Je suis heureux que tu aies fait appel à moi, répondit-il en l’étreignant. Mais tu n’avais pas besoin de venir ici, tu sais. Je serais allé au palais.
— Non, c’est mieux ainsi. (Tenel Ka se dégagea juste assez pour le regarder dans les yeux.) Je devais emmener Allana dans un endroit sûr.
Jacen haussa un sourcil.
— Et ton palais n’en fait pas partie ?
— Pas en ce moment. (Elle lui prit la main et le conduisit devant la baie vitrée, où le croissant de la face de la planète où il faisait nuit venait d’apparaître.) Quelqu’un a empoisonné les témoins.
— Les témoins ? demanda Jacen.
— Du coup d’État, précisa Tenel Ka. Je les avais tous fait isoler dans le Puits.
— Ce Puits, c’est ton centre de détention ?
Elle hocha la tête.
— Ma prison secrète. Confortable, cachée et très bien sécurisée. Mes ancêtres l’ont utilisée durant plus de vingt siècles pour y détenir les nobles importuns. Nul ne s’en est jamais échappé.
— C’est toujours le cas, si j’ai bien compris. (Jacen lui adressa un sourire à la Solo.) À moins que la définition que les Hapiens donnent au verbe « s’échapper » soit différente de celle du reste de la galaxie.
Tenel Ka lui jeta un regard noir.
— Tu n’es pas drôle, Jacen. La plupart des hommes qui sont morts avaient eu la malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Je ne les gardais en détention que jusqu’à ce que j’aie pu déterminer qui était coupable.
— Pourquoi quelqu’un empoisonnerait-il... Tenel Ka, les empoisonneurs n’ont pas seulement voulu faire taire leurs complices.
Elle acquiesça.
— S’ils avaient seulement désiré protéger leur identité, ils n’auraient pas assassiné tous les prisonniers. (Elle se tourna vers la planète, qui disparaissait dans l’obscurité.) Les usurpateurs veulent faire croire que je tue des innocents. Ils souhaitent retourner mes nobles contre moi.
— Nous ne laisserons pas cela arriver. Nous trouverons qui ils sont et nous les arrêterons. (Jacen posa les mains sur les épaules de la souveraine.) Tu dis que le Puits est un secret. Qui en connaît l’existence ?
— Une compagnie de mes gardes personnels et quelques membres de ma cour.
— Ça pourrait être un garde, dit Jacen, mais il y a davantage de chances pour que...
— Oui, c’est toujours quelqu’un de proche, non ?
Jacen regarda la porte.
— Dame Galney ?
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, répondit Tenel Ka. Dame Galney appartient à l’une des familles qui me soutiennent. Sa sœur se ralliera à ma cause à l’instant où Jaina lui délivrera mon message.
Jacen fronça les sourcils.
— Jaina était ici ?
— Oui. (Tenel Ka le prit par la main de nouveau et le conduisit jusqu’à l’aire de conversation.) Ta sœur est arrivée peu de temps après tes parents.
— Mes parents ? (Jacen était de plus en plus perplexe.) Que font-ils ici ?
— Plus rien. Ils ont fui. (Elle s’assit et le tira près d’elle.) J’ai bien peur qu’ils n’aient été impliqués dans la tentative d’assassinat.
— Impliqués ?
— Qu’ils y aient participé.
Durant un instant, Jacen fut trop sonné pour dire un mot. Il savait que ses parents avaient pris le parti de Corellia dans ce conflit – c’était l’une des seules choses qui le faisaient s’interroger sur la position de l’Alliance Galactique – mais un assassinat, ce n’était pas leur style. Ou du moins l’avait-il cru, jusqu’à ce qu’il ait accès aux rapports confidentiels sur le rôle de son père dans le meurtre de Thrackan Sal-Solo.
Enfin, il regarda Tenel Ka et demanda :
— Tu en es sûre ?
— Je suis sûre qu’ils étaient ici, expliqua-t-elle. Ils sont arrivés le jour du Défilé de la Reine et ont prétendu avoir rendez-vous avec moi. Au début, j’ai cru qu’il y avait eu un malentendu, mais mes responsables de la sécurité sont maintenant convaincus qu’ils devaient causer une rupture dans la routine établie pour ma sécurité.
— Ils en sont convaincus...
Jacen se leva et essaya de donner un sens à tout cela, d’imaginer le couple qui l’avait élevé – le coquin au bon cœur et la diplomate pleine de principes – tendant un piège à Tenel Ka pour l’assassiner.
— Qu’en penses-tu ?
— Je ne sais plus, Jacen. Certains rapports suggèrent qu’ils pourraient avoir essayé de m’avertir, mais...
Jacen continuait de regarder le mur. Il commençait à se sentir presque soulagé. Allana n’était peut-être pas le sacrifice auquel Lumiya faisait allusion. Il aurait peut-être à offrir ses parents sur l’autel de la Force, et leurs morts pourraient bien ne pas être un acte de trahison de sang-froid. Peut-être servirait-il l’Équilibre en délivrant la justice à deux terroristes sanguinaires.
— Mais quoi ? demanda-t-il, se tournant vers la Reine Mère. Parle.
— Mais on les a vus s’enfuir en compagnie du chef des assassins. Elle est même venue à leur aide quand mes gardes les avaient coincés.
— Je vois.
Une terrible tristesse tomba sur Jacen. Ses parents avaient-ils franchi la ligne entre héros et meurtriers ? Avaient-ils glissé dans le monde trouble du terrorisme ?
— Y a-t-il une bonne raison d’apporter foi aux rapports disant qu’ils pourraient avoir essayé de t’aider ? demanda-t-il à Tenel Ka.
Elle baissa les yeux.
— Pas vraiment.
— C’est bien ce que je pensais. (Il se dirigea vers sa station com.) Il semble que mes parents soient devenus l’un des problèmes dans cette guerre.
— Jacen, que fais-tu ? demanda Tenel Ka, qui l’avait suivi. S’il te plaît, rappelle-toi que nous ne connaissons pas encore toute l’histoire !
— Et nous le devons. (Il s’assit et activa l’écran, puis il fit défiler des fichiers électroniques.) C’est pour ça que nous devons les trouver.
— Vraiment ? Le Faucon Millenium s’est évanoui dans les Brumes Transitoires. Aussi longtemps qu’il reste hors du Consortium, je suis prête à leur laisser le bénéfice du doute... en fait, je le veux.
— Nous ne pouvons pas faire ça, Tenel Ka ! (Jacen trouva ce qu’il cherchait – un mandat d’amener de la GAG – et commença à entrer les noms de ses parents.) Mais merci pour ton offre.
— Arrête, Jacen. (Elle se servit de la Force pour écarter ses mains du clavier.) Si tu es en colère parce qu’ils ont attenté à la vie d’Allana, souviens-toi qu’ils ignorent qu’elle est leur petite-fille, et il y aurait eu une tentative d’assassinat, même sans eux.
Il baissa sa garde pour qu’elle puisse sentir ses émotions.
— Je ne suis pas fâché, mais triste.
Jacen libéra ses mains et retourna à sa tâche.
— Mais tout ça ne nous concerne pas seulement nous – ou le Consortium de Hapes. (Il entra la description du Faucon Millenium, puis envoya le mandat au centre.) Quoi que les terroristes aient prévu, mes parents en font partie – la GAG ne peut pas continuer de l’ignorer.